PHÉROMONES

PHÉROMONES
PHÉROMONES

Le transfert d’informations par signaux chimiques entre individus d’espèces différentes ou entre individus de la même espèce est courant chez les êtres vivants. Cependant, on réserve le terme de «phéromone», du grec pherein (transporter) et hormân (exciter), aux signaux chimiques intervenant dans la communication intraspécifique. Il a été introduit en 1959 par Karlson et Lüsher, qui en ont donné la définition suivante: «Une phéromone est une substance (ou un mélange de substances) qui, après avoir été sécrétée à l’extérieur par un individu (émetteur), est perçue par un individu de la même espèce (récepteur) chez lequel elle provoque une réaction comportementale spécifique, voire une modification physiologique.»

Comme les hormones, les phéromones sont produites par des glandes spéciales, elles agissent en quantités infinitésimales et sont spécifiques.

Par opposition aux hormones, elles ne sont pas déchargées à l’intérieur d’un organisme, mais au contraire elles sont émises à l’extérieur. Les hormones interviennent dans les phénomènes de régulation à l’intérieur d’un même organisme, alors que les phéromones servent à communiquer entre organismes de la même espèce.

Pour respecter l’étymologie, on a quelquefois utilisé, surtout chez les auteurs d’expression française, le terme «phérormone», mais celui-ci est maintenant complètement abandonné pour des raisons phonétiques.

1. Classification et mode d’étude

On a proposé diverses classifications des phéromones. Karlson (1960), se fondant sur leur mode de perception, les subdivise en deux catégories, selon qu’elles agissent par voie olfactive ou par voie gustative. Wilson (1962), établissant son jugement sur leur mode d’action, distingue les pheromones de déclenchement (releaser pheromones , des auteurs anglo-saxons) et les phéromones modificatrices (primer pheromones ).

Les phéromones de déclenchement produisent un changement immédiat et réversible dans le comportement du récepteur.

Les phéromones modificatrices élaborent une suite de modifications physiologiques chez le récepteur, sans aucun changement immédiat dans son comportement. Ces modifications physiologiques le rendent apte ensuite à l’acquisition d’un nouveau répertoire comportemental, qui pourra se manifester lors d’une situation donnée.

Les principales phéromones de déclenchement sont les phéromones sexuelles (attractives ou aphrodisiaques), d’alarme, de piste, d’agrégation, de marquage de territoire, etc.

Les phéromones modificatrices interviennent dans le déterminisme des castes chez les insectes sociaux. Elles ont surtout été observées chez les abeilles où la «substance royale» produite par la reine en est une illustration. Cette substance inhibe en effet le développement des ovaires des ouvrières, et les empêche de construire des cellules royales à l’intérieur de la ruche.

Une phéromone ne correspond pas à un seul constituant chimique; elle est en général formée d’un mélange en proportions bien définies de différents constituants élémentaires. On parle souvent d’ailleurs de «bouquet phéromonal». C’est la composition qualitative et quantitative du mélange qui assure alors la spécificité du message ; plusieurs constituants élémentaires peuvent être partagés par des espèces différentes.

L’étude des phéromones n’a pu être réalisée que grâce aux progrès de la biologie moléculaire, de la biochimie et de l’éthologie. Il faut d’abord mentionner le prodigieux développement des techniques d’analyse physico-chimique, en particulier la chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse. Parallèlement ont été mises au point des méthodes de plus en plus fines d’observation et de quantification des comportements des organismes en expérience, mettant en jeu des dispositifs vidéo et des traitements informatiques des images.

Les outils de la neurophysiologie ont été utilisés pour étudier les mécanismes de la perception des signaux phéromonaux au niveau des récepteurs olfactifs et gustatifs mis en jeu.

Enfin, les perfectionnements constants apportés aux méthodes de synthèses stéréosélectives des composés organiques ont permis de disposer de phéromones de synthèse et de leurs analogues structuraux pour d’éventuelles applications pratiques ou pour établir des relations entre structures et activités. En retour, ces recherches ont permis de mieux comprendre les mécanismes de l’olfaction ou de la gustation.

Vers le milieu du XXe siècle, des phéromones ont pu être mises en évidence, isolées et identifiées chez les procaryotes, comme chez les eucaryotes, plantes et animaux. Il s’agit en majorité de phéromones sexuelles intervenant dans la rencontre des gamètes mâles et femelles (champignons inférieurs, algues), dans l’attraction à distance de l’un des partenaires sexuels par l’autre (insectes), ou pour provoquer chez l’un d’eux une réaction comportementale favorisant l’accouplement (parade nuptiale, par exemple). Mais on connaît aussi de nombreuses phéromones de piste (insectes sociaux, mammifères), de marquage de territoire (mammifères, poissons), d’agrégation (insectes) et d’alarme (insectes, poissons, mammifères). En revanche, les phéromones modificatrices sont beaucoup moins connues et n’ont été décrites que chez les insectes sociaux.

Seules les phéromones sexuelles et d’agrégation des insectes ont trouvé des applications pratiques en agriculture. Le piégeage sélectif de l’un des partenaires sexuels (ou des deux à la fois) a été utilisé afin de constater la présence de tel ou tel insecte dans une culture, d’apprécier ses périodes d’activité et sa densité de population (surveillance agricole). On a aussi essayé de brouiller le système de communication chimique entre ces partenaires pour agir sur la dynamique de la population de l’insecte cible en diminuant la fréquence des accouplements (confusion sexuelle).

2. Phéromones des végétaux

Les phéromones chez les procaryotes

La production d’antibiotique chez les bactéries du genre Streptomyces telles que S. griseus (il s’agit de la streptomycine) est sous la dépendance d’une phéromone dite facteur A, présente chez la souche sauvage et capable de restaurer cette production chez des mutants déficients. Le facteur A agit aussi sur la morphologie des colonies et est nécessaire pour induire la sporulation. La structure du facteur A a été identifiée (fig. 1): il est actif à des concentrations aussi basses que 8 憐 10 size=113 M.

Des phéromones sont impliquées dans les phénomènes de parasexualité bactérienne. Par exemple, les souches réceptrices de Streptococcus faecalis sécrètent des phéromones sexuelles de nature peptidique qui induisent des réponses spécifiques chez les souches donatrices portant différents plasmides de conjugaison. Les cellules de ces souches synthétisent alors à leur surface, en réponse à la phéromone, une substance de nature protéique: l’adhésine, qui les recouvre uniformément et favorise la formation des agrégats sexuels. Pour cette raison, les phéromones en question ont été appelées «agents inducteurs d’agrégation».

Trois phéromones ont été isolées de S. faecalis ; elles ont reçu les noms de CPD1, CAD1 et CAM 373. Chacune induit de façon spécifique une réponse sexuelle chez les souches donatrices possédant les plasmides PPD1, PAD1 et PAM 373. Les deux premières sont des octapeptides, la troisième un heptapeptide (fig. 1).

Les phéromones chez les champignons et les algues

Le rôle des phéromones dans les processus de reproduction sexuée des champignons filamenteux a été clairement mis en évidence. Par exemple, chez l’espèce aquatique Achlya ambisexualis (phycomycètes), les thalles femelles synthétisent et rejettent dans le milieu une phéromone: l’antheridiol. Celle-ci, détectée à très faible concentration (6 憐 10 size=112 g/ml) par les thalles mâles, induit la croissance et la différenciation des organes sexuels mâles (ébauches de spermatocystes ou spermatocystes) et la production par ceux-ci d’une autre phéromone: l’oogoniol, qui va provoquer en retour la formation des organes sexuels femelles (oocystes) sur les thalles femelles.

De plus, la croissance des spermatocystes va se faire en direction des oocystes en suivant le gradient de concentration en anthéridiol (chimiotropisme), favorisant ainsi la fusion entre les deux organes sexuels, suivie de la fécondation des oosphères par les spermatozoïdes et de la production d’oospores.

Chez une autre espèce aquatique du genre Allomyces (phycomycètes), le même thalle porte les gamétocystes mâles et femelles qui libèrent dans l’eau des gamètes mobiles différents de taille et de couleur, les gamètes mâles de couleur orange étant plus petits que les gamètes femelles plus gros et incolores. Les gamètes mâles sont attirés vers les gamétocystes femelles et s’agglutinent autour des gamètes femelles dès qu’ils sont libérés. La phéromone sexuelle responsable de cette attraction a été isolée et identifiée; il s’agit de la sirénine, qui est active à la concentration minimale de 10 size=110 M.

Un mécanisme tout à fait analogue se retrouve chez les algues. Déjà Thuret, dès 1854, avait émis l’hypothèse d’une attraction chimique entre les gamètes mâles et femelles des fucus, mais les phéromones mises en jeu n’ont pu être identifiées qu’un siècle plus tard!

Chez les algues brunes (phéophycées), on a pu remarquer que les gamètes, une fois émis, se déplaçaient d’abord au hasard et qu’après une période de maturation les gamètes mâles étaient attirés par les gamètes femelles, en réponse à l’émission par ceux-ci d’une phéromone volatile dont l’odeur est perceptible à l’odorat humain.

Neuf phéromones différentes ont été isolées et identifiées parmi les représentants de dix familles de phéophycées, allant des espèces les plus primitives (Ectocarpus ) aux plus évoluées (Laminaria , Fucus ).

Ces phéromones, actives à très faible concentration (de 10 size=19 à 10 size=111 M), sont en majorité des hydrocarbures polyinsaturés, linéaires ou cycliques, de même origine biogénétique (fig. 2).

Elles ne sont pas toujours spécifiques et peuvent agir sur plusieurs représentants de la même famille ou d’une famille éloignée.

Chez les Laminariales, la phéromone sexuelle, ou lamoxirène, est particulièrement intéressante, d’une part grâce à l’originalité de sa structure chimique, d’autre part grâce à sa double activité biologique. Elle agit en effet sur la libération des gamètes mâles par les anthéridies et aussi comme attractif sexuel. Moins d’une demi-minute après son émission par l’oosphère, on constate la désagrégation des parois de l’anthéridie et une brusque émission de gamètes mâles qui se mettent alors à suivre le gradient de concentration en phéromone en direction de l’oosphère. On a pu montrer que ces phéromones étaient reconnues par des protéines réceptrices situées à la surface des gamètes mâles avec lesquels elles se lient de façon réversible. Toute modification structurale de ces molécules, principalement de la stéréochimie, entraîne une diminution de l’activité biologique, due à une moins bonne liaison avec le récepteur.

Les phéromones chez les plantes supérieures

De nombreuses expériences conduites sur des essences forestières tendent à montrer qu’un arbre subissant une forte attaque de ravageurs est capable de communiquer un signal de détresse (phéromone d’alarme) aux autres arbres situés à proximité. Ceux-ci réagissent alors en augmentant leurs propres réactions de défense afin de mieux se protéger d’une éventuelle attaque. La nature des phéromones mises en jeu est à l’étude. Certaines recherches ont notamment débouché sur un rôle éventuel de l’éthyline. Cette substance est en effet abondamment produite par les végétaux en condition de stress et on sait qu’elle est capable de stimuler la synthèse de certains métabolites secondaires, comme les polyphénols, qui seraient responsables de la résistance de la plante aux ravageurs.

3. Phéromones des animaux invertébrés

La présence de phéromones a été mise en évidence dans tout le règne animal, principalement chez les insectes où l’émission de phéromones volatiles, véhiculées par l’air, rend plus faciles l’isolement et l’étude de ces substances. Il n’en est pas de même chez les autres invertébrés, particulièrement ceux qui vivent en milieu aqueux et qui peuvent ainsi utiliser des phéromones de haut poids moléculaire, difficiles à identifier.

Chez le cilié Blepharisma japonicum , par exemple, on a pu mettre en évidence deux types cellulaires caractérisés par les phéromones qu’ils produisent: les cellules de type I sécrètent dans le milieu une glycoprotéine de haut poids moléculaire, la blépharmone, qui induit chez les cellules de type II la production de blépharismone, de faible poids moléculaire.

La présence des deux phéromones permet aux deux cellules de s’attacher l’une à l’autre et d’échanger leur matériel génétique. Chez les plathelminthes et les nématodes, la présence de phéromone sexuelle émise par la femelle et attractive pour le mâle a été prouvée chez une vingtaine d’espèces.

Chez le nématode Panagrellus redivivus , la phéromone serait formée de deux produits: un octapeptide et une amine insaturée dont les structures ne sont pas encore connues.

Les phéromones des insectes

Depuis la découverte, en 1960, du bombykol, phéromone sexuelle émise par la femelle du ver à soie et attractive pour le mâle, on a assisté à une véritable explosion des recherches sur les phéromones d’insectes. À ce jour, 235 phéromones sexuelles attractives ont été isolées chez les lépidoptères, 17 chez les diptères et 22 chez les coléoptères où l’on connaît également autant de phéromones d’agrégation.

Les autres ordres ont été beaucoup moins explorés mais on a décrit plusieurs phéromones sexuelles d’homoptères (pucerons et cochenilles), de dictyoptères (blattes) et d’hyménoptères. Les phéromones d’alarme et de piste ont surtout été étudiées chez les termites et les fourmis.

Les phéromones sexuelles d’insectes

Chez les lépidoptères, de mœurs crépusculaires ou nocturnes, la phéromone sexuelle est produite par la femelle vierge à un moment précis du nycthémère: c’est le comportement d’appel . Cette période d’émission correspond à celle où les mâles sont les plus réceptifs à la perception de ce message chimique, grâce à des récepteurs spécialisés situés sur leurs antennes. Il en résulte une attraction spécifique à distance du mâle qui, à la suite d’un vol orienté, localise avec précision sa femelle.

Un tel mécanisme avait déjà été proposé dès le XIXe siècle, en particulier par J. H. Fabre, lors de ses célèbres expériences sur l’attraction des mâles du grand paon de nuit par une femelle nubile.

Les phéromones sexuelles de lépidoptères sont en général constituées d’un mélange de plusieurs constituants élémentaires, soit différents chimiquement les uns des autres, soit formés par les isomères géométriques, ou de position, de la même structure de base. C’est donc la globalité du mélange qui assure la spécificité de l’attraction.

Toutes les phéromones sexuelles attractives de lépidoptères sont des dérivés d’acides gras aliphatiques à longue chaîne, possédant une ou plusieurs insaturations conjuguées ou non (fig. 3). Leurs voies de biosynthèse ont pu être précisées.

Dans bien des cas, lorsque le mâle est parvenu à proximité de sa partenaire, il émet à son tour des phéromones dites aphrodisiaques, intervenant dans ce que l’on a coutume d’appeler la parade nuptiale . Ces aphrodisiaques sont particulièrement importants chez les lépidoptères diurnes où l’attraction à distance se fait essentiellement par voie visuelle. Leurs structures chimiques sont très variées et dérivent souvent de précurseurs trouvés dans l’alimentation des larves ou des adultes. Leur émission se fait à partir d’organes spéciaux dits organes androconiaux, munis de longues touffes de poils qui servent d’évaporateurs.

Dans le cas des coléoptères, il y a davantage de diversité car les phéromones sexuelles peuvent être produites soit par les femelles (Dermestidae , Scarabaeidae ), soit par les mâles (Curculionidae , Bruchidae ). Elles attirent également à distance le partenaire de sexe opposé, mais peuvent aussi agir comme simple stimulant sexuel à courte distance.

Chez les diptères, les phéromones sexuelles émises par les femelles sont des hydrocarbures à longue chaîne, d’origine cuticulaire. Elles servent plus d’aphrodisiaques pour les mâles que de véritables attractifs. Cependant, les mouches des fruits possèdent un système phéromonal rappelant celui des lépidoptères. Chez la mouche de l’olivier, par exemple, l’un des deux isomères optiques du même produit est émis par les femelles et attire les mâles, tandis que l’autre est émis par les mâles et excite sexuellement les femelles.

On possède peu d’informations sur les phéromones sexuelles des représentants des autres ordres. Cependant, chez les cochenilles (homoptères), on connaît de nombreuses phéromones sexuelles, émises par les femelles (fixées et aptères) et attractives pour les mâles (ailés). Elles sont toutes apparentées chimiquement à des dérivés terpéniques.

Chez l’abeille domestique, la phéromone royale, émise par la reine, sert d’attractif aux mâles (faux bourdons) pendant le vol d’essaimage. Le même produit est partagé par plusieurs espèces d’apoïdes, tandis que chez les guêpes il s’agit de substances différentes.

Enfin, chez les blattes, on connaît les phéromones sexuelles de quelques espèces seulement, dont celles des blattes germanique et américaine.

Les phéromones d’agrégation

Les phéromones d’agrégation ont été très étudiées chez les coléoptères Scolytides , dont de nombreux représentants sont des ravageurs importants des forêts de conifères. Ces insectes (mâles ou femelles selon les espèces) sont attirés dès leur émergence par les émanations terpéniques d’arbres stressés sur lesquels ils atterrissent. En y creusant une galerie de pénétration, ils ingèrent des précurseurs terpéniques, qu’ils transforment alors en phéromones d’agrégation, qu’ils libèrent avec leurs fèces. Ces phéromones attirent les individus des deux sexes, déclenchent l’attaque de masse non seulement sur l’arbre préalablement choisi par les premiers individus, dits pour cette raison individus pionniers, mais aussi sur les arbres voisins. Des «antiphéromones» sont ensuite produites pour éviter une trop forte population sur le même arbre et favoriser l’essaimage.

Les phéromones de piste et d’alarme

Les phéromones de piste et d’alarme ont surtout été étudiées chez les insectes sociaux (abeilles, fourmis, termites) où les échanges d’information par signaux chimiques à l’intérieur de la colonie revêtent une importance et une complexité bien plus grande que chez les autres insectes. Chez les fourmis, par exemple, les phéromones de piste servent à baliser chimiquement un chemin conduisant vers une source de nourriture ou lors d’échanges d’une colonie à une autre. Ces substances sont sécrétées par un organe spécial: la glande de Dufour, située au niveau abdominal. Ce sont des dérivés hétérocycliques azotés, pyrrolidiques ou indoliziniques (fig. 4).

Chez les termites (Nasutitermes sp.), il s’agit plutôt d’hydrocarbures terpéniques: nasutène (néocembrène A). Notons que ces insectes sont souvent attirés par les substances produites par les champignons lignivores, qu’ils ingurgitent et réutilisent ensuite (modifiées ou non) comme marqueurs de piste ou de territoire.

La notion de marquage de territoire, très importante chez les vertébrés, se retrouve chez de nombreux insectes sociaux. Les substances mise en jeu ont été étudiées chez les mâles de bourdons où elles sont produites en abondance dans les glandes mandibulaires.

Pendant leur vol de patrouille, les mâles marquent avec ces substances des supports de l’environnement. Elles ont un effet dissuasif pour les autres mâles conspécifiques, mais au contraire attirent les femelles, rendant plus faciles les probabilités de rencontre et d’accouplement.

Les phéromones d’alarme sont largement répandues chez la plupart des insectes sociaux. Produites souvent par une seule caste, elles renseignent les autres individus de la colonie de la présence d’un danger, et provoquent soit une réaction de fuite, soit, au contraire, de recrutement sur les lieux du sinistre afin d’en combattre les causes. Pour cette raison, elles sont souvent confondues avec les substances de défense.

La phéromone d’alarme de l’ouvrière d’abeille, l’acétate d’isoamyle, est attractive pour les autres ouvrières chez lesquelles elle déclenche un comportement agressif; la même situation se retrouve chez de nombreuses fourmis (Dolichoderinae , Formicinae , Myrmicinae ), les produits mis en jeu étant des cétones aliphatiques à chaîne courte. Par contre, chez les pucerons, la phéromone d’alarme, le transfarnésène, provoque la dispersion de la colonie dont les individus se laissent tomber à terre pour éviter d’être consommés par un prédateur.

Applications agronomiques des phéromones d’insectes

Les phéromones sexuelles attractives des lépidoptères sont largement utilisées pour assurer la surveillance des espèces nuisibles, surtout en arboriculture fruitière, par piégeage sélectif des mâles. La méthode consiste à placer, au centre d’un piège englué, une capsule attractive chargée d’un mélange de synthèse reproduisant le plus fidèlement possible le bouquet phéromonal produit par la femelle de l’espèce à surveiller. Les pièges, une fois placés dans la parcelle, renseignent sur les périodes d’apparition des adultes, la durée et l’intensité des vols et surtout sur l’importance relative de la population. Ces renseignements, qui sont à la base de toute stratégie de lutte intégrée, permettent de déterminer des seuils de nuisibilité en dessous desquels il sera inutile d’intervenir. La même méthode est aussi applicable aux coléoptères, aux cochenilles et aux mouches des fruits.

Une seconde méthode permet de brouiller le système de communication chimique entre partenaires sexuels, pour empêcher les rencontres et diminuer ainsi les accouplements (confusion sexuelle). On y parvient en diffusant dans l’atmosphère des doses très élevées de phéromones de synthèse à partir de sources multiples peu chargées ou de sources ponctuelles fortement chargées. Plusieurs procédés sont actuellement disponibles sur le marché pour lutter contre les principaux lépidoptères ravageurs des cultures.

4. Phéromones des animaux vertébrés

Chez les vertébrés, les phéromones produites par un individu constituent pour son entourage un message codé qui porte des renseignements sur son statut social, sa situation et sa maturité sexuelle. L’existence de telles phéromones a été mise en évidence chez tous les vertébrés, des poissons aux primates et à l’homme.

Les phéromones de poissons

Un poisson blessé est capable d’avertir ses congénères par l’émission d’une substance d’alarme , qui provoque chez ceux-ci une réaction de fuite. Cette substance produite par des cellules épidermiques spécialisées ne peut être émise que s’il y a lésion au niveau de la peau. Chez les vairons, on pensait qu’il s’agissait d’une ptérine, mais pour expliquer la spécificité on a ensuite émis l’hypothèse que cette ptérine était conjuguée à une protéine. D’autres travaux ont contredit cette hypothèse, et les phéromones d’alarme seraient des composés polysaccharidiques possédant des fonctions amines.

L’existence de phéromones sexuelles a été mise en évidence chez les femelles et les mâles. Chez le gobie, le mâle est capable de présenter un comportement de cour, simplement au contact du fluide ovarien d’une femelle réceptive: la substance responsable serait de nature protéique. Chez de nombreuses espèces, les mâles signalent leur présence par l’émission de substances spécifiques qui attirent les femelles. Chez le guppy, le mâle sécrète une «copuline», qui synchronise la maturité sexuelle des femelles en stimulant la production des hormones gonadotrophiques. De plus, l’homogénéité des bancs de poissons est assurée par un ensemble de signaux chimiques produits par le mucus. Ces derniers servent à marquer le territoire et à assurer la cohésion du groupe en permettant à la fois la reconnaissance individuelle et sociale. Ils interviendraient aussi dans les phénomènes migratoires. Chez les salmonidés en particulier, le jeune poisson garderait la «mémoire olfactive» de la rivière qui l’a vu naître ou du groupe auquel il a appartenu. Cette signature olfactive du lieu de naissance lui permettrait alors de retrouver son cours d’eau d’origine pour s’y accoupler après sa migration en mer.

Les phéromones de mammifères

Les phéromones des mammifères interviennent dans la définition des droits territoriaux et du statut social à l’intérieur d’une communauté. Elles jouent aussi un rôle dans l’attraction, généralement à assez courte distance, d’un sexe par l’autre, et dans l’identification de l’état physiologique d’un individu par ses congénères.

Les droits territoriaux , qu’ils appartiennent à un animal solitaire ou à un groupe, sont généralement délimités par des marques odorantes spécifiques déposées grâce à l’urine et aux fèces, ou aux sécrétions de glandes exocrines spécifiques comme les sacs anaux des carnivores, les glandes nasales de certains rongeurs, la glande temporale des éléphants, les glandes interdigitales, dorsales, causales et supra-orbitales des ongulés (cervidés en particulier).

Le statut social et l’identification de l’état physiologique d’un individu à l’intérieur d’un groupe dépendent de la perception par ses congénères de signaux chimiques provenant essentiellement de l’urine et des fèces, mais aussi des sécrétions de différentes glandes cutanées (glandes sébacées, apocrines et sudoripares) et de la salive.

L’attraction d’un sexe par l’autre ou la reconnaissance par un partenaire de l’état sexuel de l’autre est liée aux sécrétions de différentes glandes associées au tractus génital mâle ou femelle. C’est dans cette catégorie qu’on trouve les glandes préputiales des rongeurs (rat musqué) responsables de la production de cétones macrocycliques telles que le muscone. Une fois que ces substances ont suscité l’intérêt de l’un des partenaires pour l’autre, l’identification du statut social de chacun d’entre eux peut se faire par léchage réciproque des organes génitaux ou de gouttes d’urine contenant, entre autres, des hormones sexuelles ou leurs produits de dégradation. L’urine joue en effet un rôle phéromonal important chez les mammifères et chez les rongeurs en particulier.

Chez la souris Mus musculus , par exemple, une substance thermolabile présente dans l’urine du mâle et plus abondante chez les mâles dominants accélère la puberté chez les souris femelles immatures. Il s’agirait d’un peptide de masse moléculaire voisine de 860 ou d’une substance volatile liée à ce peptide. De même, l’urine de femelles en œstrus, ou de femelles gravides ou qui allaitent, accélère la puberté des jeunes femelles et provoque l’œstrus chez les adultes. Au contraire, si l’on maintient ensemble des femelles en l’absence de mâle, leur urine retardera la maturation sexuelle d’autres femelles. Dans la nature, ces phénomènes pourraient intervenir pour contrôler la dynamique des populations de souris, en fonction des conditions écologiques du milieu.

On a également observé que l’urine des mâles pouvait induire, accélérer et même synchroniser l’œstrus d’un groupe de femelles (effet Whitten ) et cela sans la présence effective du mâle. Le même effet peut être obtenu en envoyant de l’air odorisé par l’urine mâle dans la cage contenant les femelles. Enfin, une femelle fraîchement fécondée peut avorter et retourner à l’état d’œstrus si elle est soumise à l’urine d’un mâle étranger à son groupe (effet Bruce ). Il s’agirait, là aussi, de substances peptidiques liées à des produits plus volatils non encore identifiés. En effet, l’analyse détaillée des urines mises en jeu n’a jamais été faite et il en est de même pour celles de la plupart des mammifères, l’homme excepté. Cependant, on a pu trouver dans l’urine différentes cétones, aldéhydes et alcools à chaîne courte, des lactones, des phénols, des alkyles-furanes, des hétérocycles azotés (pyrroles et pyrazines), des composés soufrés et des hydrocarbures. Sa composition est très variable et dépend du régime alimentaire, de l’état physiologique de l’émetteur et de l’heure de la journée.

Chez les cervidés , ce sont plutôt les sécrétions des glandes exocrines, réparties à la surface du corps, qui interviennent dans la régulation des relations sociales entre individus d’une même harde et dans le marquage territorial. Leur composition chimique a surtout été étudiée chez le renne. Elles contiennent aussi des hydrocarbures, des alcools, des aldéhydes, des cétones et des acides gras dont certains se retrouvent dans les urines (fig. 5).

Chez certains primates , comme les tamarins Saguinus fuscicollis , des marques odorantes, caractéristiques de l’espèce, sont produites par des glandes situées autour des organes génitaux. Elles contiennent des informations sur le statut social et l’équilibre hormonal de chaque individu du groupe et en maintiennent la cohésion. Ce sont des sécrétions complexes, formées d’esters butyriques d’acides gras à longue chaîne (C20 à C28) et de squalène. L’existence d’une phéromone sexuelle produite par la femelle et attractive pour le mâle a été clairement démontrée chez le singe rhésus, Macaca mulatta . Cette phéromone, un mélange d’acides gras à chaîne courte, produite au niveau vaginal est sous la dépendance des œstrogènes et est capable de produire à distance l’excitation du mâle même si celui-ci ne peut pas voir la femelle. Par contre, elle est sans effet sur un mâle rendu anosmique (privé d’odorat).

Les phéromones chez l’homme

La prépondérance prise par la vision et le langage dans les mécanismes de reconnaissance entre individus a plus ou moins annihilé le rôle de l’olfaction, et si l’homme a toujours utilisé des parfums c’est précisément pour dissimuler ses propres odeurs corporelles. Notre civilisation a de plus généralisé l’utilisation des déodorants et nous ne sommes plus habitués à reconnaître l’«autre» par l’odeur.

Les éthologistes ont vérifié néanmoins, après H. Montagner (1974), que des nourrissons étaient capables de reconnaître l’odeur de leur propre mère.

On a pu montrer que certaines substances à signification sexuelle chez les animaux, comme l’androstérone (phéromone du verrat), sont perçues différemment par la femme et par l’homme, et que cette différence disparaît chez les femmes qui prennent des contraceptifs. Enfin, des anomalies graves de la perception olfactive s’accompagnent d’anomalies sexuelles, voire d’infantilisme génital chez les deux sexes. Donc, s’il n’est pas possible d’établir de façon irréfutable l’existence de phéromones chez l’espèce humaine, tout laisse à supposer qu’elles ont dû jouer un rôle important chez l’homme primitif.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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